Un site unique à empreintes de pas de dinosaures (sauropodes et théropodes), classé parmi les hauts lieux mondiaux de la paléontologie.
Découvert en automne 2004 par Jean-François Richard, conseiller principal d'éducation qui faisait un footing, le site à empreintes de pieds et mains de dinosaures de Loulle est situé en bordure de plateau, au sud de la ville de Champagnole. Il constitue le plancher d’une ancienne carrière. Au moment de la découverte, cette carrière était à l’abandon, couverte de végétation, de cailloux et de blocs de rochers.
Ce gisement a été révélé au public en automne 2006 et a fait l’objet de trois chantiers de fouilles paléontologiques en 2007, 2008 et 2009. En 2008, ce fut le plus grand chantier de fouilles paléontologiques de France. Ces fouilles ont été dirigées par Pierre Hantzpergue, professeur de géologie à l’université de Lyon 1 et Jean-Michel Mazin, paléontologue directeur de recherche au CNRS à l’université de Lyon 1 également.
Des empreintes ont été repérées dans plusieurs niveaux géologiques différents, indiquant le passage d’animaux sur une période de plusieurs milliers (?) d’années. Sur chaque niveau, les empreintes ne sont pas forcément dues au passage d’un troupeau mais à celui d’animaux divers à différents moments.
On peut observer de nombreuses pistes (dont quelques-unes seulement ont été peintes) de sauropodes, ces dinosaures végétariens de type Brontosaure, Brachiosaure ou Diplodocus parmi les plus grands animaux que la Terre ait connus (hormis actuellement le rorqual bleu). Leurs pattes avant laissent des empreintes caractéristiques en forme de croissant ou de demi-lune alors que leurs pattes arrières laissent des traces de formes notamment ovales. Une piste comporte des empreintes de pattes arrières de 90 cm à 1 mètre de diamètre. En employant des formules mathématiques adaptées, cela nous indique un sauropode de 25 mètres de long et pesant entre vingt et trente tonnes. On observe même un ensemble patte avant / patte arrière dont cette dernière mesure, sans le bourrelet, un mètre cinquante de diamètre, ce qui en fait une des plus grosses empreintes de ce type au monde !
Le site présente un grand intérêt également pour l’étude du mode de déplacement des sauropodes : les pistes repérées présentent des caractéristiques différentes entre elles.
On peut également observer plusieurs pistes de théropodes (protégées aujourd'hui), dinosaures carnivores, marchant sur leurs pattes arrières et laissant des empreintes semblables à celles des oiseaux (3 doigts, dont le doigt central plus long que les deux autres). Ces empreintes ont été faites par des animaux de tailles et d'espèces différentes : elles mesurent de 30 à 77 cm (longueur du doigt central). Les petites sont rattachées à l'ichnogenre Carmelopodus. La plus grande, serait celle d'un Megalosauripus, soit un animal de 10 m de long, rappelant un allosaure ou un Tyranosaurus-Rex. Mais ce dernier a vécu en Amérique du Nord et 65 millions d’années plus tard ! Des empreintes de cette taille ne seraient actuellement connues qu’en Suisse et en Angleterre. Mais, en 2016, en Bolivie, une nouvelle empreinte s'inscrivant dans un cercle de 1,2m serait due à un Abelisaurus de 15 m de haut. La couche où git l'empreinte est datée du Crétacé supérieur, il y a 80 millions d'années.
En remontant dans le temps, il y a 157 millions d’années environ, au moment où les dinosaures sont passés à Loulle, tout était différent :
- le continent unique, La Pangée, se morcelait et l’esquisse de nos actuels continents commence à se dessiner.
- le climat était alors subtropical humide (paysage côtier ressemblant à nos actuels Bahamas !) avec donc une alternance de phases pluvieuses et de phases sèches et chaudes. Le Jura se situait alors à la lattitude du Maroc d'aujourd'hui.
Différents dinosaures sont passés à différents moments sur un terrain tantôt meuble, tantôt dur, plus ou moins sec. Nous sommes à l’arrière d’une plage et ils laissent des empreintes plus ou moins nettes, plus ou moins profondes, plus ou moins bien conservées.
Ces traces ont été solidifiées par dessication et par production de carbonate de calcium par des cyanobactéries, les stromatolithes (voile algaire en période humide). Le tout étant ensuite comblé progressivement lors de transgressions marines par les sédiments apportés par une fine lame d’eau. Puis les millions d’années suivants ont vu l’accumulation de grandes quantités de sédiments donnant des calcaires, sur plusieurs centaines de mètres, alternant avec des phases d’érosion très importantes.
On peut en observer des traces sur le site de Loulle : polygones de dessication (mud cracks), fines couches successives de calcaire dues au travail des stromatolithes, rides de vagues (ripple marks) ou empreintes encore comblées
Pour répondre à une question qui revient très souvent, il n’a pas été trouvé d’ossements sur le site : les conditions pour la fossilisation d’un cadavre ne sont pas bonnes sur une plage. Seul un ensevelissement rapide peut créer des conditions idéales.
Une partie des empreintes a été marquée à la peinture afin d’en rendre la lecture plus facile, pour les photos aériennes et pour les visiteurs.
En plus des photos classiques, des relevés biométriques traditionnels sur le terrain et de quelques moulages, le site a fait l’objet de relevés scientifiques mettant souvent en œuvre des technologies de pointe :
Tous ces relevés ont été accompagnés d’une étude géologique régionale (Elsa Cariou, 2014) ainsi que de carottages dans la carrière.
Des études complètes peuvent donc être faites en laboratoire grâce à ces différents enregistrements.
Dès à présent, cette découverte ainsi que toutes celles effectuées dans l'Arc jurassien entre 2002 et 2012, a changé l’idée que les spécialistes avaient jusque là du Jura à l’Oxfordien Supérieur et au Kimméridgien, à savoir une mer peu profonde et permanente. Désormais, on sait qu’il y a eu de nombreuses oscillations du niveau marin ou/et des mouvements tectoniques qui ont découvert des surfaces terrestres considérables sur lesquelles se sont déplacés, en nombre, différents dinosaures.
Cette découverte a aussi permis de faire connaître bien au-delà de la Franche-Comté et même de la France le charmant village de Loulle, à l’écart des itinéraires touristiques. Cela peut permettre, si les choses sont bien menées, d’apporter à ses habitants des avantages découlant d’une activité originale et respectueuse de l’environnement et des villageois (commerce de proximité, développement de lieux d’accueil tels que chambres d’hôtes ou gîtes, accroissement de l’activité de la fruitière, création d’activités originales en rapport avec le site permettant de créer un ou des emplois…).
Rappelons pour finir que le site à empreintes de pas de dinosaures de Loulle est un site exceptionnel, unique, fragile et non renouvelable. Il est donc demandé aux nombreux visiteurs de faire attention à ne pas le dégrader (interdiction de marcher sur la dalle à empreintes), de surveiller leurs enfants qui trop souvent causent des dommages involontaires en lançant des cailloux, par exemple. Ceci afin de permettre pendant longtemps à tous ceux qui le désirent de faire un voyage dans un passé qui fait rêver chacun, des plus jeunes aux plus âgés.
Aujourd'hui, le site a été aménagé, avant tout pour le protèger. Après 10 ans d'observation, on s'est rendu compte que le piétinement de dizaines de milliers de visiteurs, conjugué aux effets de gel et de dégel hivernal, conduisait à une destruction rapide et irrémédiable.
Les scientifiques soucieux de la conservation à long terme étaient d'avis de recouvrir entièrement le site. Les autorités locales et départementales ont décidé d'en garder une partie visible pour le public, tout en évitant le piétinement.
Des panneaux didactiques, en français et en anglais, ont été installés et proposent une visite individuelle "commentée". Une passerelle permet de s'avancer au-dessus des surfaces conservées à l'air libre et de voir les empreintes de près. Elle a été conçue pour pouvoir être enlevée sans laisser de stigmates. Des visites guidées sont organisées régulièrement pendant la bonne saison.
Le plan général du gisement, ci-dessous, dévoile le site lors de l'étude. On peut y lire les divers cheminements des animaux et l'on se rend alors mieux compte que l'image que l'on a sous les yeux est le résumé de divers et nombreux événements étalés dans le temps.
Elsa Cariou et alii (2014). Dinosaur track record on a shallow carbonate ramp (Loulle section, Late Jurassic, French Jura). Facies 60, p. 229-253.
Jean-Michel Mazin, Pierre Hantzpergue et Joane Pouech (2016). The dinosaur tracksite of Loulle (early Kimmeridgian; Jura, France). Geobios 49, p. 211-228.